Issue du milieu du spectacle vivant, Agathe Mercat développe depuis quelques années une pratique artistique personnelle centrée sur les techniques de la couture et de la broderie numérique. Son projet Koodre comme on parle mêle le geste artisanal à une recherche esthétique où s’expriment des questions sociales et politiques. En parallèle, l’artiste développe des projets d’éducation artistique et culturelle, donnant forme à des œuvres collectives et à une performance mêlant le textile et la projection numérique.
Le projet Sous les plis
Agathe Mercat a passé un mois à expérimenter dans le studio blanc de l’Abri, à Genève, en mettant en couleur par projection ses tissus brodés. Cette résidence fait suite à deux années de résidences très courtes, chacune ayant abouti à une performance où le jeu prenait le pas sur la réalisation de l'œuvre plastique. Pourtant, c'est bien une œuvre vivante que l'artiste aspire à créer, une œuvre qui reflète la complexité de la mémoire traumatique et l'effet simpliste de sa médiatisation. Par mémoire traumatique, on entend ici la protection du cerveau à la suite d’un choc, et par choc, on entend inceste.
À une époque où les débats sur la prescription et la libération de la parole sont d’actualité, l’artiste s’interroge sur les modalités de ces échanges et souhaite entamer une recherche plastique sur la matérialité du langage. À travers trois textes évoquant tour à tour le traumatisme, la colère et le souvenir du traumatisme, elle se concentre sur la relation qu’elle souhaite établir avec le public.
Lors de sa résidence, elle fréquente régulièrement le théâtre et constate que l’expression de la colère féminine ne choque plus. Comment, dès lors, faire résonner la parole, lui donner du relief et de l’importance ?
Son premier travail se concentre sur des rideaux brodés, ornés d’une phrase chère à l’artiste : « Je suis de cette armée-là, pourtant incapable de lever l’étendard. » De cette phrase, elle tire de nombreux micro-poèmes qu’elle fait apparaître en modifiant les couleurs des rideaux : « Je suis là », « Je suis de là », « Je suis armée là », « Je suis là armée. » L’ordre des mots change le sens, la temporalité et la tension.
Après deux semaines passées à peindre des couleurs sur les rideaux déjà brodés à l’aide d’un projecteur numérique, Agathe Mercat retourne à Rennes, enrichie de ce premier travail. Mais une autre découverte, toujours sur le sujet de la matérialité du langage, l’attend à Genève. En sortant d’un spectacle, elle réalise que l’expression de la colère est complexe et que les figures de femmes victimes doivent continuellement s’exposer pour se faire entendre. Le paradoxe d’Agathe Mercat réside dans son désir de ne pas exposer son traumatisme, tout en souhaitant que les autres soient disponibles pour l’entendre – ou non.
Elle imagine alors projeter divers textes à l’envers sur les rideaux, nécessitant une implication active du spectateur, presque une danse, pour les lire. En apposant un textile dans l’autre sens de la projection, ils peuvent découvrir le texte à l’endroit. Ainsi, un nouveau sens émerge de la phrase : « pourtant incapable de lever l’étendard. » Ici, ce sont les autres qui lèvent les étendards pour rendre visible sa parole.
La rencontre avec Noel Apitta
À l’Abri-Genève, elle rencontre également Noel Apitta, également en résidence. Il viendra par la suite passer du temps à Rennes pour l’aider sur la projection et continue aujourd’hui à réfléchir avec elle à de futurs projets communs.